La règle du Bakchich aux frontières

5 septembre 2012

La règle du Bakchich aux frontières

Certains agents à l’aéroport de Lomé ne connaissent qu’un langage : l’argent, celui du bakchich.

 Ce sont  les plus serviables au monde, sourire aux lèvres pour l’étranger qui arrive ou qui part; faire bonne impression pour que ce dernier daigne revenir ; l’hospitalité.

Pour l’agent typique, payer un bakchich  est une obligation pour le voyageur. C’est pour cela  qu’il fait semblant d’ignorer les quelques anomalies sur le passeport et les bagages du Yovo (Blanc).D’habitude, il  prend son billet discrètement, avec une main à moitié ouverte, les yeux à 180 degrés  et le visage tourné vers une autre direction, pour être sûr que personne ne regarde; pourtant cette routine est connue de tous, à Lomé.

Ensuite, il  glisse le billet dans sa poche sans avoir eu le temps de connaître sa valeur. Quelques minutes après, il le sort pour enfin savoir. Quand c’est un Franc cfa et de surcroit un billet froissé de 1000 francs, son regard s’assombrit, car 1000  Fcfa ça part vite à Lomé où les prix montent sans que les salaires ne suivent. Le prochain qui passera de son côté paiera le prix fort, surtout si c’est un compatriote.

Une autre manière, le billet est mis dans le passeport avant d’être remis à l’agent. Et quand il l’ouvre, il découvre son présent, et le met dans la poche; « ni vu, ni connu ».

Le jack pot, c’est l’Euro, normal, la parité est plus avantageuse. Et là son expression faciale est différente ; «  un bon voyage » sincère accompagne le voyageur.

En gros, le bakchich est de règle; c’est cela, le vrai bon de sortie ou d’entrée. Et c’est pire  aux frontières terrestres. Que ceux qui parlent de libre circulation au sein de la CEDEAO, aillent faire un tour à la frontière d’Aflao (Togo /Ghana); ils sauront que le vrai passeport c’est l’argent. Et chaque camp, des deux bords de la frontière, en tire un profit hebdomadaire important aux dépends de la population. Nos dirigeants le savent, mais ne font rien, rabâcheurs qu’ils sont.

Et chaque fois que, j’ai eu l’occasion de passer cette frontière, c’est toujours la même rengaine.

Le leitmotiv est clair pour eux : qui ne paie pas, ne passe pas.

 Le jour de mon départ pour Montréal, j’ai fait cette expérience amère :

Mon vol était prévu pour Quatre heures du matin; l’heure idéale pour fausser compagnie aux amateurs de pots de vin. Enfin c’est ce que je pensais.

Une fois l’enregistrement  (incluant la pesée de mes bagages) fait, j’arrivai devant un genre de petit couloir barré qui mène à la salle d’embarcation. À côté, deux agents assis au guichet; le premier, un chauve en civil, surement le chef, l’autre en uniforme de je ne sais quelle unité, perdu dans ses pensées.

-« Passeport ! », me demanda le type en civil

Ce que je lui remis avant même qu’il eut terminé de prononcer le mot.

Il le fouilla, refouilla, et refouilla encore, puis leva un regard déçu vers moi

– « Donc vous nous quittez ! Ok ». Il prit une torche, l’alluma et la pointa sur le visa, avec un air de joaillier vérifiant  la pureté d’un diamant. Pendant ce temps  son collègue, me regardait fixement.

L’autre, terminant, son «  travail d’expert », referma le passeport, et commença à me regarder à son tour, après avoir échangé un petit regard avec son collègue. J’avais donc deux regards sur moi, braqués en silence pendant près d’une minute.

Et là  j’entendais deux noms, dont le mien être appelés (les retardataires).

« Écarte –toi! » :Lança l’agent chauve quand il vit un touriste, un français  par son accent, arriver.L’homme donna son passeport, qu’on lui remit instantanément après y avoir tamponné un bon de  sortie. Puis il disparut derrière la porte menant à la salle d’embarcation.

-« Mon frère, tu veux voyager non ? » me demanda l’agent chauve.

– Bien sûr ! 

-Vraiment ? alors fait ce qu’il faut !

-Faire quoi ? Rétorquai-je

-Tu ne sais pas ? Reste- là !

Puis ils se retournèrent pour parler entre eux, comme si je n’existais pas.

Je comprenais très bien, ce qu’ils voulaient c’était de l’argent. Mais pour moi, il n’était pas question de leur donner le moindre centime.

-« Désolé chef, je n’ai rien sur moi », en montrant mon portemonnaie vide et en tapotant les poches de mon jean .C’était vrai, je n’avais plus de FCFA, mais j’avais bien au fond de ma poche gauche une enveloppe contenant  quelques dollars canadiens.

« Dernier appel, pour monsieur …. ».Là les choses s’accéléraient; j’allais rater mon avion et les conséquences seraient désastreuses .Il me fallait prendre une décision, et vite; car j’étais acculé, j’étais seul, personne ne pouvait m’aider, et connaissant mes compatriotes  en uniformes, ils  feraient tout pour me retenir. Ce n’était pas le moment de leur tenir tête; ils pourraient prétexter n’importe quoi pour me faire rater mon avion; une anomalie dans mon passeport, par exemple.

 Je glissai la main dans ma poche, entrouvris l’enveloppe d’un doigt, et tirai un billet, priant que ce soit un 10 dollars, et  ce fut le cas. Je le leur tendis en les regardant fixement pour me remémorer leurs deux visages de rapaces. Alors il me remit mon passeport, avec un sourire victorieux.

Je me précipitai dans la salle d’embarcation où on fouilla mon sac à dos rapidement ; là deux autres m’attendaient,  deux gars armés,  avec le même refrain : « donnes quelque chose ».

-« Écoutez, je n’ai plus d’argent, et je n’ai plus le temps, j’ai donné tout ce que j’avais à vos deux collègues au guichet ! »

-« Bon passe, mais la prochaine fois, rappelle-t’en ! » Comme si je leur devais quelque chose.

Je fus le dernier à rentrer dans le bus, qui partit à vive allure sur le tarmac. En rentrant dans l’avion, une hôtesse avec un  grand sourire m’accueillit; une de ces filles Coca cola qu’on rencontre dans les avions; cela fit fondre toute ma colère. Mais, je ressentais une profonde amertume.

Quand l’avion décolla, je me fis une promesse, plus jamais je ne cèderai au chantage de ces hommes en uniformes.

Quelques heures plus tard, arrivé à Casablanca où  je devais changer de vol pour Montréal, je connus une mésaventure presque similaire, en vidant mes poches avant de passer le portique de sécurité.

Alors, je me suis dit : cette pratique de bakchich, d’intimidation et d’extorsion n’a pas de frontière. Moi, j’ai cédé à ce chantage , et je la dénonce ; ceux qui s’y refusent, livrent un bien  meilleur combat!

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