Le chômage à la togolaise

Le chômage à la togolaise

Déjà à l'université, on s'entraine pour affronter la galère du chômage
Déjà à l’université, on s’entraîne pour affronter la galère du chômage

 «Eh ! Toi là-bas, oui toi, chômage… laisse-nous tranquille !»

 Tu te réveilles le matin, tu fais ta prière (à qui tu veux), et tu sors de la maison pour commencer ton pèlerinage. Tu ne prends pas de taxi, ni de zemidjan, et surtout pas l’autobus Sotral (tu n’as pas envie de t’asphyxier dans cette jungle ambulante de gens prêts à t’arracher la tête pour trouver une place  » debout sur un pied  » (on peut des fois y expérimenter partiellement l’état d’être siamois).

Tu prends donc la vielle méthode, «la Johnny Walker»,  en attendant de faire réparer ta bicyclette : direction : centre-ville. Mais un petit arrêt s’impose, parce qu’il te faut ta potion magique pour faire l’aller du pèlerinage sans t’évanouir.

Tu t’arrêtes donc chez madame Lonlonno. Dans le coin, on la surnomme « Panoramix». Sa potion, la bouillie « Akassan » a du succès.

En te voyant arriver, la bonne dame assise derrière la marmite remplie de potion bouillante dit : « Mon fils, ça va ? Viens viens, tu n’as pas besoin de faire la queue comme tout le monde. Allez prends ça, elle te donne un bol plein de bouillie dans la main. Puis elle ajoute avec un sourire :  « Aujourd’hui, c’est double ration pour toi, juste pour toi, gratuit, ça va booster ton énergie, tu en as besoin ».

Tu remercies madame Lonlonno, et tu vas t’asseoir. Pendant que tu avales ta bouillie bien chaude, tu jettes un coup d’œil aux alentours, parmi les clients qui utilisent la même technique de «soufflage» pour dompter la potion «volcanique».

Quelques-uns parmi eux ont sans doute ton âge, mais on est plus vraiment dans la même catégorie ; toi tu es en pleine carrière de chômeur (temps plein), eux sont chômeurs à temps partiel et entrepreneurs l’autre partie du temps. Ils sont dans le business des deux roues, celui des taxis motos pris en bail chez un investisseur.

«Trois ou quatre années d’études supérieures pour finir sur une moto», mais au moins, tu fais quelque chose de ta vie en attendant.

Il faut être têtu comme une chèvre affamée

Le chômage enlève progressivement le brin d’espoir mais te fait avoir des mamans supplémentaires. Ah ! La femme togolaise, un cadeau du ciel, elle t’adopte sans problème.

 «Ewuuuuéééé! » s’écrit, madame Lonlonno (comme toute Togolaise digne de ce nom, elle sait exprimer son dépit dans un cri) «… Togooooo!  Que fais-tu de tes enfants maaa !? Nos jeunes souffrent hein ! Bonne chance mon fils hein, ça va aller hein, du courage ».

Ainsi, en montant sur le siège arrière du zed réquisitionné par madame Lonlonno pour toi, tu cries en laissant ton microbe de l’optimisme s’exprimer : « Quand, je serai PDG de Togo Telecom, je vous achèterai une villa à Togo 2000 ».

«EEh!amiiih! Vous entendez ça ? bientôt, je vais déménager dans les beaux quartiers », s’exclame avec joie la dame à la suite de ta déclaration publique.

Tu es en route, et tu pries pour que la journée qui commence soit décisive. Tu supplies aussi le zed d’aller doucement, tu ne veux pas crever avant de devenir PDG et de tenir ta promesse solennelle.

C’est comme ça que la journée commence, pleine d’optimisme, de potions magique,s de promesse future. Dans son milieu, on te voit déposer des CV confiés au Bon Dieu et à tes ancêtres; une petite promenade sur la plage pour laisser ton esprit s’évader loin de tout et regarder ton ombre tenter de se laisser avaler par la mer.

À la fin de la journée, on te voit revenir à la maison en longeant les murs. Tu repasses comme d’habitude par la bicoque de la mère adoptive que le chômage t’a trouvée; mais elle n’est plus là; sa journée aussi est finie, mais elle est certainement dans une église du coin en train de prier pour toi, pour sa villa, et pour le pays.

C’est ça le parcours d’un chômeur au Togo, une période qui te fait vieillir. Pour y survivre, il faut être têtu comme une chèvre affamée.

Un parcours digne des 12 travaux d’Astérix

Un parcours qui te fait changer de camp : d’abord « Dieu », ensuite « je ne crois plus en rien, sinon pourquoi me laisse-t-il souffrir comme ça ? » Enfin « Dieu est grand, il m’a fait trouver du travail ».

Un parcours jonché de mines style : « Tu veux épouser ma fille hein ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Heuuu! En fait, je suis à la recherche… »

« Ahhh! Ma fille veut épouser un recherchiste… vous allez vivre de quoi ? L’amour ne remplit pas le ventre hein ! »Bref, tes tentatives d’accouplement sont difficiles. Personne ne veut t’accorder la permission d’épouser sa fille. Le temps que tu fasses ton Téléthon pour remplir les conditions non négociables de la dote, c’est too late ! l’amour… n’attend pas le chômeur.

Le chômage est un virus qui menace la survie des jeunes Togolais. Il arrive sans s’annoncer et te met sur la liste des personnes en voie de disparition.

Un virus qui vous oblige à utiliser les gros moyens : la potion magique.

Un virus qui contamine tout dans votre vie.

Un virus devant lequel le fameux « sérum-ANP E» du gouvernement tremble.

Un virus qui prend en otage l’avenir de la jeunesse togolaise.

Dans ton chômage à la togolaise, tu te poses aussi ces questions : « Pourquoi, dois-je nécessairement avoir besoin de papa, tonton ou tata “bras longs” pour trouver du travail ? Pourquoi dois-je finir premier de classe ? Les premiers, venez travailler, les deuxièmes attendez votre tour, c’est cela ? »

L’un des éléments de la devise éternelle de notre pays est : Travail.

Travailler dur pour faire avancer le pays, mais aussi je le crois, avoir du travail, avoir la chance d’accomplir quelque chose. Nous en sommes loin, très loin.

Je vous l’affirme, le jour où ce virus arrêtera d’ouvrir la terre sous nos pieds, ce pays se mettra véritablement sur la voie de l’émergence que nous vendent nos gouvernants.

Kèdèèe!!!

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Commentaires

Djifa Nami
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Un texte hyper rigolo, mais pas drole. On sent du desespoir et pourtant de l 'optimisme aussi. Je ne peux m 'empecher de remercier Dieu pour nous autres qui l 'avons echappe belle, et en meme temps lui demander jusqu'a quand pour vous autres? Bravo et courage.

jeogo
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Akpéee kaka!!!

Fotso Fonkam
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Triste réalité que vivent les jeunes dans la majorité des pays d'Afrique. Ici au Cameroun c'est pareil, juste que les mères adoptives comme madame Lonlonno sont aussi rares que la pluie en saison sèche.

Benjamin Yobouet
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Cher ami là, tu viens certes de décrire le visage même du chômage au Togo mais c'est partant toute l'Afrique. Le chômage est une véritable plaie. Mais gardons espoir...!

renaudoss
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Excellent! Tchalé. Une magnifique description de ce que c'est que d'être Jeune "chomeur" à Lomé. C'est étonnant, je croyais connaitre (tous) les blogueurs togolais, c'est une heureuse erreur.

jeogo
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Ah! je suis comme "une ombre qui longe les murs".En fait, je suis de la première (promotion) de Mondoblog.Kèdèee

AKOUVI
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Bonjour,
Excellente description pour cette dure réalité qu'endure la jeunesse togolaise. Il lui faut de la détermination pour aller de l'avant. N'oublions pas que de belles victoires se construisent ainsi.
Courage, Dieu veille.
Merci.